Gastronomie bordelaise : en 2023, 72 % des 6,2 millions de visiteurs recensés par l’Office de tourisme de Bordeaux ont déclaré venir d’abord pour manger, avant même de découvrir les vins. Cette statistique, plus forte qu’en 2019 (+5 points), confirme une évidence : la capitale girondine séduit autant par l’assiette que par ses chais. Dans un marché hexagonal où le secteur de la restauration a progressé de 8,4 % en valeur l’an passé (INSEE, 2023), Bordeaux s’impose comme laboratoire culinaire. Décryptage, terrain, saveurs.

Cap sur les indispensables de la table bordelaise

Le patrimoine gastronomique local repose sur une trilogie d’éléments : la terre, l’estuaire et la vigne. Si l’on remonte à 1895, date à laquelle Curnonsky qualifie Bordeaux de « plus vaste menu de France », on retrouve déjà quatre incontournables.

  • La lamproie à la bordelaise : poisson de Gironde mijoté dans un vin rouge corsé (souvent un graves).
  • L’entrecôte et sa sauce marchand de vin : héritage des tonneliers qui récupéraient les fonds de barriques pour parfumer la réduction.
  • Les huîtres du Bassin d’Arcachon : introduites à la table royale sous Louis XIV, elles voyagent à peine 45 minutes avant d’arriver aux Halles de Bacalan.
  • Le canelé : petit cylindre caramélisé dont la recette officielle est déposée à la confrérie des Canelés de Bordeaux depuis 1985.

À ces classiques s’ajoutent des produits de niche comme le foie gras du Médoc ou la crépinette bordelaise (variante festive du pâté de porc). Je garde le souvenir vif de mon premier marché place des Capucins : odeur de sève des asperges du Blayais, file d’attente pour la lamproie vendue seulement trois mois par an, et cette habitude locale de « saucer » directement dans la marmite exposée par le poissonnier.

Pourquoi la lamproie, le canelé et l’entrecôte bordelaise fascinent-ils encore ?

La question revient sans cesse parmi les gourmets en quête de sens. Trois raisons se dégagent.

Un attachement historique

La lamproie fait partie des rares mets médiévaux encore cuisinés selon un protocole quasiment inchangé depuis le XIIIᵉ siècle. Le canelé, créé par les sœurs du couvent de l’Annonciade en 1519, rappelle l’âge d’or du commerce triangulaire : on utilisait le jaune d’œuf pour colmater les barriques, restait le blanc pour la pâtisserie.

Un marqueur identitaire fort

Dans un sondage CSA de février 2024, 64 % des Bordelais citent le canelé comme « symbole numéro un de leur ville ». L’entrecôte, servie traditionnellement de 500 g par personne, témoigne d’une générosité qui contraste avec la tendance nationale aux portions réduites.

Une adaptabilité aux nouvelles tendances

D’un côté, les puristes réclament la recette originelle ; de l’autre, des chefs comme Tanguy Laviale (restaurant Garopapilles) remplacent la sauce vin rouge de l’entrecôte par un jus réduit de cabernet franc zéro sulfite. Résultat : 25 % d’alcool en moins, profil aromatique intact.

Chefs et lieux qui redessinent la scène gourmande

Les tables étoilées et bistronomiques

  • Le Quatrième Mur : sous la houlette de Philippe Etchebest, une étoile Michelin depuis 2018, 30 000 couverts servis en 2023.
  • Côté Rue : Julien Cruège, pionnier du « chef de comptoir », propose un menu locavore à 42 € qui change chaque mardi.
  • Lume : l’Italo-Bordelais Gianluca Zelina marie morue de Saint-Christoly et agrumes des serres de Gradignan.

Les halles et marchés repensés

La rénovation des Halles de Talence (6 M€ investis, inaugurées en mai 2024) porte la capacité à 350 places assises, accentuant l’effet « food court ». La Cité du Vin, quant à elle, complète son parcours muséal par un restaurant panoramique où 75 % des ingrédients proviennent d’un rayon de 100 km.

Initiatives créatives et solidaires

« Cuisine Itinérante », collectif né quai des Chartrons en 2022, a distribué 18 000 repas anti-gaspi en un an, récupérant invendus de la grande distribution. Un contrepoint salutaire dans une ville qui compte 1 restaurant pour 305 habitants, ratio supérieur de 12 % à la moyenne nationale.

Tendances 2024 : durable, locavore et… décomplexée

Les études de l’Observatoire Gironde Alimentation (OGA, mars 2024) montrent trois mouvements majeurs.

  1. Hyperlocal : 57 % des restaurants référencés par le guide Le Fooding à Bordeaux indiquent un approvisionnement < 50 km.
  2. Retour au végétal : Le menu « plant-based » du gastronome Saturne à Bordeaux-Lac affiche complet trois semaines à l’avance.
  3. Mixologie culinaire : Assemblage d’infusion de sarment et saké ; Marc Dellerin expérimente même un kombucha à base de lies de Sauternes.

D’un côté, certains puristes regrettent la dilution de la tradition ; de l’autre, la jeune génération applaudit cette liberté créative qui place Bordeaux au même rang que Copenhague ou Barcelone en matière d’innovation.

Comment savourer Bordeaux sans se perdre ?

Pour une immersion express, je conseille :

  • Matin : canelé chaud chez Baillardran (Gare Saint-Jean) à 8 h 30, quand les moules en cuivre sortent du four.
  • Midi : entrecôte 500 g et pommes de terre sarladaises au Café Lavinal (Pauillac, 50 min en TER).
  • Soir : tapas de lamproie confite aux Halles de Bacalan, face au pont Chaban-Delmas illuminé.

En trois haltes, le visiteur embrasse terre, estuaire et vigne, tout en croisant les sujets connexes du terroir : agriculture régénérative, œnotourisme, tourisme fluvial.

Qu’est-ce que la lamproie à la bordelaise ?

La lamproie, poisson anadrome sans mâchoire, remonte la Garonne de janvier à mars pour frayer. À Bordeaux, on la saigne, on récupère son sang pour épaissir une sauce au vin rouge, poireaux, poivron, jambon de Bayonne et bouquet garni. La cuisson dure trois heures à feu très doux. Résultat : une chair fondante, presque giboyeuse, que l’on sert traditionnellement avec des croûtons frottés à l’ail. En 2024, le kilo de lamproie fraîche oscille entre 18 et 22 € chez Jean d’Alos, quai des Chartrons.


Chaque mois, je continue de pousser la porte de nouveaux établissements pour prendre le pouls de cette scène bouillonnante. Si vous êtes curieux de découvrir d’autres pépites – fromage affiné à la lie de merlot, street-food basque, glaces à la fève tonka du Cubzac – laissez vos questions : je me ferai un plaisir de vous guider lors de votre prochaine escale gourmande en terres bordelaises.